Cet article suit à la trace la figure du traître dans les romans et scénario de Patrick Modiano, afin d’en dégager un relativisme qui participe d’une entreprise de démythification de l’Occupation. Les personnages de ces fictions de l’histoire s’engagent arbitrairement dans la collaboration ou la résistance, souvent par nécessité et parfois, dans le cas du juif, pour survivre. En déconstruisant les stéréotypes et les lieux communs entourant l’Occupation, les livres de Modiano luttent contre l’effet de signification de l’Histoire, contre la simplification et le manichéisme. Parce qu’ils donnent une place à ce qui ne figurait toujours pas dans les livres d’histoire des années 60, ils vont aussi à l’encontre de l’effacement accompli au service d’une « reconstruction nationale » gaulliste et communiste. Paradoxalement, la démythification de la Résistance héroïque y apparaît comme une forme de résistance à l’idéologie totalitaire. Les tout premiers textes suivent de près la séparation d’avec le père et s’élaborent dans un contexte sociopolitique encore aux prises avec les mythes d’après-guerre. Ils s’inscrivent en réaction à la fois à la perte du père et à l’air du temps. Alors que le contexte évolue et que l’écrivain poursuit son travail de deuil, dans le roman, la figure de la jeune juive révoltée semble prendre le dessus sur la figure du traître. Par cette représentation particulière de la victime juive où le personnage échappe au stéréotype sans pour autant prendre la place de l’autre, du bourreau, l’œuvre pose peut-être une limite à son propre relativisme.
This article follows the traitor figure in the novels and a screenplay from Patrick Modiano, in order to underline the presence of a relativism which is part of an endeavor aiming to demythologize the German occupation of France. The characters in these history-based works of fiction align arbitrarily with collaboration or resistance, often out of necessity and sometimes even, in the case of the Jew, to survive. Deconstructing the stereotypes and clichés about the Occupation, Modiano’s books fight against the "meaning effect" of History, against simplification and Manichaeism. Because these writings give a place to what was still absent from history books in the sixties, they also fight against the erasure accomplished by Gaullist and communist elements for the national reconstruction movement. Paradoxically, the demythologization of "résistancialisme" in Modiano’s work can be considered as a form of resistance against totalitarian ideology. Modiano’s early works came soon after his final separation from his father, in a sociopolitical context still struggling with postwar myths. They take place in reaction to both the father’s absence and the spirit of the times. While the context changes and the writer’s grieving process continues, the novel’s rebellious Jewish girl figure seems to take precedence over the traitor figure. By this singular representation of the Jewish victim, a character who does not correspond to stereotypes but does not take on the role of the executioner either, perhaps the narration sets a limit to its own relativism.