Cet article se fonde sur un travail qui explore un corpus d’environ 12 000 lettres de combattants français, émises pendant la Grande Guerre de 1914-1918. L’objectif est d’examiner les caractéristiques et les fonctions du discours épistolaire de guerre en tant que lieu où se dit l'expérience combattante. L’article tentera de démontrer comment un élément discursif identique, en l’occurrence, les références à la nature, acquiert une dimension argumentative qui lui permet de transmettre des opinions et des sentiments à l’égard de la guerre, dans le but de négocier des positions et d’y faire adhérer des destinataires. Dans cette perspective, on étudiera les stratégies discursives déployées dans un témoignage de guerre écrit à l’intention de l’Autre, la façon dont elles construisent un ethos de combattant ou encore jouent de l’implicite, les non-dits et les sous-entendus pour traiter de la situation extérieure. Quel que soit leur statut social, les combattants se sont inventés des moyens discursifs pour témoigner et faire partager une expérience difficile et souvent ineffable. Il importe d'explorer ces matériaux pour tenter de retrouver des témoignages qui sont aussi des représentations nouvelles, et parfois encore inconnus malgré les abondants et fertiles travaux d'Histoire sur la Grande Guerre.
This paper is based on a study that investigates a corpus of approximately 12,000 letters written by French soldiers during the Great War of 1914 to 1918. The objective is to examine the characteristics and functions of the war epistolary address as an expression of the fighting experience. We will attempt to show how an identical discursive reference, in this case related to nature, is endowed with an argumentative dimension that allows for the transmission of opinions and feelings about war, in order to negotiate positions and elicit the addressees’ adhesion. In this perspective, we will study the discursive strategies deployed in a war testimonial written to the Other, and the manner in which they develop a soldier’s ethos or play off what is implicit and non-spoken in order to deal with the external situation. Regardless of their social status, the Great War soldiers have devised discursive methods to describe and share difficult, sometimes unspeakable, experiences. It is important to explore this material in order to find accounts that sometimes provide representations still unknown despite the large number of productive studies on the Great War.